je knocke, tu knockes...knockez sur le knocker !
Avant d'aborder le thème du knocker, j'aimerais évoquer le thème du silence et la mécanique
de l'ordinaire. Car avant tout bruit suspect pouvant attirer notre attention,
il y a ce laps de temps où l'oreille humaine est habituée à un certain confort auditif,
une habitude sonore ou un silence.
Cette habitude sonore ou ce silence est d'autant plus important qu'ils se produisent dans
des géographies à risques comme les mines. Dans de tels endroits, tout peut s'effondrer à
n'importe quel moment et nous pouvons aisémment imaginer la vive attention portée
par les mineurs sur les silences et les fonds sonores que pouvaient générer leur milieu
de travail.
Dans "le foudroyage", l'auteur André Still ne manque pas de rappeler que
"les vieux mineurs regrettaient toujours le silence de la vieille mine, celle d'avant les machines,
d'avant que la mine soit devenue une usine, avec ses fracas d'emboutissage,
ses déchirements de métal, ses hurlements de freins géants, ses tremblements énormes.
La vieille mine, on lui entendait bouger un cheveu sur la tête. En cas de danger,
les plus habitués à elle, les mineurs les plus savants, s'y avançaient en l'effleurant du bout
des doigts, l'oreille prête à tout, comme dans une nuit de guerre, et devinaient ses intentions".
Dans "Glück Auf, la peine des Hommes", l'auteur Pierre Hamp, renchérit : "les hommes ne
remuaient plus que leur mâchoires. Un grand silence était dans la taille.
On entendait travailler le charbon. Un long craquement foudroya l'intérieur de la masse,
puis vint une plainte de bois. La mine parlait. Quand le vacarme des machines l'emplissait,
on ne distinguait rien de son mystère. Maintenant les hommes écoutaient la terre.
Le temps bref d'un repas était le seul moment d'intimité qu'ils avaient avec elle. Autrefois
ils en percevaient tous les murmures...".
Chaque mineur dans sa nuit doit pouvoir surmonter ses peurs et ses craintes dans l'ultime but
de maîtriser et dompter le minerai qui l'entoure. C'est à la fois un travail physique et
psychologique. Physique pour creuser et se mouvoir dans les galeries, psychologique parce
qu' il faut, nous dit Bernard Plessy, "que le mineur soit pourvu d'un esprit bien fort pour ne
pas céder à ces terreurs que les anciens attribuaient au vieux Pan et qu'ils disent paniques"
(Bernard Plessy et Louis Challet : la vie quotidienne des mineurs au temps de Germinal).
Et quand la force vient à lui manquer, lorsque son imagination est vaincue par les forces
obscures des souterrains, quoi de plus naturel pour le mineur que d'avoir recours à
la conjuration des menaces telluriques qui pèsent sur lui. Il est temps alors de chasser
le mauvais oeil par des rites magiques et des superstitions.
Si l'on veut approcher les Frappeurs, il faut donc commencer par se taire et écouter la mine.
Tout commence par le silence. Le frappeur nait du silence et de la disposition psychologique
de celui qui écoute.
Est-ce pour cela que Grimm, dans sa mythologie teutonique (volume 2), semble vouloir réunir
dans une même et seule logique sonore l'ensemble des esprits frappeurs ? poltergeisters,
le Trasgo des Asturies (gobelin du nord de l'Espagne),les esprits des maisons qu'on entend
sauter, frappant aux murs, sur les escaliers et dans les greniers.
En France nous trouvons le soterai. En Allemagne nous avons le poltergeist,
rumpelgeist (grondement esprit, un lutin, de maisons hantées), et le singulier gobelin
appelé Klopfer (le marteau).
Peut-être qu'en s'attardant maintenant sur l'outil du mineur, pourra-t-on en découvrir
davantage sur l'origine du bruit qu'il engendre lorsqu'on le frappe sur la roche.
D'avant Germinal, bien au delà des temps moyenageux et classique, il y eut la période
protohistorique et avec elle, l'âge du bronze. C'est un âge crucial où l'on voit naitre
les premières haches, ancêtres du marteau de thor, de la pioche et du pic du mineur.
Si nous "fouinaillons" dans les archives de cette période en europe centrale,
voilà ce que nous dénichons :
Europe centrale
L’âge du bronze débute en Europe centrale avec la culture d’Unétice,
vers 2300 av. J.-C. – 1600 av. J.-C. Cette culture doit son nom à la ville d’Únětice,
située au nord-ouest de Prague en région de Bohême (République tchèque).
Elle s’étend sur tout le territoire de l’actuelle République tchèque, le centre et le sud de
l’Allemagne, et l’ouest de la Pologne. Exploitant les gisements d’étain des monts Métallifères,
la culture d’Unétice a largement exporté ses productions dans les régions voisines,
où elles ont parfois été imitées[18].
Le son de la hache frappant la roche retentissait déjà dans les oreilles d'hommes vivant
il y a déjà plus de quatre mille ans ! Dans une perspective cabirique, la hache devient la plume
de l'homme écrivant sur les parois rocheuses détentrice de richesses lui permettant d'aller
plus avant dans la recherche du savoir et de conforter sa maîtrise sur le monde exterieur.
"La roche est un livre et la hache représente l'activité formatrice ou démiurgique.
Lorsqu'il frappe, la hache est la méthode, la volonté spirituelle actionnant la faculté
connaissante, qui découpe en idées et en concepts et stimule la connaissance distinctive".
(j'extrapole ici la symbolique du marteau donnée par Jean Chevalier et Alain Gheerbrant
dans son "dictionnaire des symboles").
De même, le Mjöllnir de Thor n'a-t-il pas été assimilé par l'inconscient allemand comme
étant l'outil concasseur permettant de vaincre les géants de fer (« járnglófar », ou « járngreip »,
« poigne de fer »)? Par extrapolation, une fois lancé, le marteau revient toujours à la main
de son lanceur...comme un écho. Une symbolique chamanique prétend que le forgeron
est l'être le plus proche du chaman, cela signifie que les puissances utilisées peuvent être
à double tranchant, autrement dit se retourner contre vous.
Par comparaison, le pic du mineur est le marteau de thor, une fois lancé dans la montagne
pour vaincre les géants de fer, ce dernier peut lui renvoyer un écho au destin incertain.
C'est aussi de cet écho que naisse les knockers. Il y a un lien étroit entre l'homme,
son instrument et la matière ouvrée. Cette relation est ambigue : elle montre qu'elle n'est
pas sans risque et qu'une fois le marteau lancé, nul ne sait s'il fera la richesse ou
la desctruction de son lanceur. Mais est-ce vraiment la faute du Marteau ?
La malchance du lanceur, nourrit par sa maladresse (peut-être), sa soif volontaire ou
involontaire de découverte (sûrement) ainsi que l'écho provoqué par le martèlement incessant
du marteau ne sont-ils pas eux aussi responsable de cette destruction ? A moins que le knocker
joue aux dés et scelle notre destin à tous dans les profondeurs telluriques de
On sait que le marteau de Thor fut construit par les nains Brokk et Eitri à la demande d'Odin.
Nous rejoignons enfin les "vers" issu du corps d'Ymir dans la mythologie nordique et qui a
fortement nourrit la mythologie teutonique. A mesure que le temps passe, l'homme rajoute au
grand chaudron du conte et de la légende les ingrédients qui lui serviront à créer certains
knockers dont l'image est le nain malin ou bienveillant ou, par extension, le "marteau frappeur"
que la main aggrippe à certaines portes des maisons !
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